“L’argent cash coûte plus cher que ce que l’on croit”

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Ilse De Witte Journaliste chez Trends Magazine

Une directive européenne interdit désormais aux commerçants belges de compter un supplément aux clients désireux de payer par voie électronique. Le professeur de la VUB Leo Van Hove explique que les paiements en cash coûtent beaucoup plus à la société que ce que le consommateur pense.

La mesure fera-t-elle une grande différence ?

LEO VAN HOVE: J’espère bien, mais le comportement de paiement des gens est largement déterminé par leurs habitudes. L’impact immédiat d’une telle mesure ne doit dès lors pas être surestimé. Cela prendra du temps.

Pourquoi le comportement des consommateurs doit-il changer ?

Le cash est le moyen de paiement le plus cher, excepté – pour l’instant – pour les très petits montants. Le cash est un produit physique, qui implique des frais pour le transport, la conservation et la sécurité. Pour les supermarchés et les banques, ce coût a notamment un sérieux poids. Les banques répercutent ce coût aux clients par le biais des subventions croisées.

Le cash est le moyen de paiement le plus cher, excepté pour les très petits montants

En 2003, Fortis a essayé de facturer directement une partie des frais du cash aux clients. Nous parlons de quelques centimes d’euro. Cela a suscité beaucoup de protestations, notamment de la ministre de la Consommation de l’époque, Freya Van den Bossche. Le consommateur n’accepte pas de devoir payer pour récupérer son ‘propre argent’.

Le résultat de ces protestations et de l’intervention de Van den Bossche fut un gentleman agreement avec le secteur bancaire qui a donné à chaque client le droit à 24 retraits gratuits par an. Cela fait des années déjà que je plaide pour que l’instrument de paiement le plus cher pour la société soit également le plus cher pour le consommateur. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Cela ne me rend pas populaire, mais cela pourrait néanmoins enclencher une dynamique.

Le Syndicat Neutre pour Indépendants (SNI) estime le coût des paiements électroniques toujours trop élevés pour les indépendants.

Des efforts ont déjà été fournis, notamment pour comprimer le coût des paiements électroniques pour les commerçants. Des économies d’échelle sont bien sûr en jeu. Si on payait davantage par voie électronique, les frais pourraient encore diminuer davantage.

Aux Pays-Bas par exemple, le secteur bancaire a conclu des accords avec les commerçants pour veiller à ce que ces paiements électroniques soient encouragés auprès de leurs clients. Si les commerçants atteignaient certains jalons, les tarifs des transactions électroniques diminuaient rétroactivement. Faire payer les clients davantage parce qu’ils paient électroniquement, c’est vraiment une logique inverse.

Jusqu’à présent, les commerçants belges pouvaient répercuter les frais réels aux clients. Un nombre relativement faible de plaintes – 73 en 2017 – arrivent au point de contact du service public fédéral Economie. On observe néanmoins encore régulièrement, dans les magasins de quartier, chez le coiffeur ou au marché, des ‘réductions’ relativement importantes accordées pour les paiements en cash.

C’est également mon expérience. La plupart des clients n’introduisent pas de plainte auprès du point de contact, ils retirent simplement du cash supplémentaire avant de passer dans tel magasin ou telle échoppe du marché.

Une réduction pour le cash, alors que le traitement du cash est plus cher. Ces commerçants ont-ils l’intention de cacher une partie de leur business au fisc ?

Il y a un lien entre l’économie au noir et l’utilisation du cash. Il est toutefois difficile d’en faire une estimation. Friedrich Schneider, un professeur de la Johannes Kepler University de Linz, fait néanmoins régulièrement des estimations – notamment sur base de la quantité de cash en circulation. L’importance relative de l’économie de l’ombre est, selon Schneider, plus grande en Belgique que dans nos pays voisins, mais elle se situe sous la moyenne des 31 pays européens repris dans son étude.

Nous savons très peu de choses concernant l’utilisation du cash par les ménages belges

Nous savons très peu de choses concernant l’utilisation du cash par les ménages belges. Nous avons une étude récente de la Banque Centrale européenne, réalisée sur base des journaux de bord tenus par des consommateurs répartis dans l’ensemble de la zone euro concernant leurs paiements. Cette étude fournit un peu d’éclairage. En particulier dans le sud de l’Europe, en Allemagne, en Autriche et en Slovénie, on paie encore beaucoup en cash dans les magasins. Nous parlons de plus de 80% de l’ensemble des paiements.

En Belgique, au Luxembourg et en France, 63 à 68% des paiements se font en cash dans les points de vente. C’est aux Pays-Bas, en Estonie et en Finlande que ces pourcentages sont les plus faibles. Si l’on considère la valeur des paiements en cash par rapport au total de la valeur de tous les paiements, ces pourcentages sont alors beaucoup plus faibles partout. Pour de plus gros montants, on utilise plus souvent la carte. En Belgique, le cash représente environ un tiers du montant total des achats en magasin.

Comment se fait-il que les pays scandinaves soient à la pointe en matière de paiement par carte et smartphone?

C’est lié à une combinaison de facteurs, mais en particulier au fait que tant les pouvoirs publics que les banques et les commerçants le soutiennent. Dans les pays scandinaves, les commerçants sont beaucoup plus confrontés au coût réel du traitement du cash.

Les banques encouragent également davantage les paiements électroniques. Un pays comme la Suède est plus étendu que la Belgique et cela coûte donc davantage d’entretenir un réseau de distributeurs à billets que tout le monde peut utiliser. Si les consommateurs doivent rouler loin pour retirer de l’argent, ils seront plus rapidement enclins à accepter les paiements électroniques par défaut. Les autorités suédoises ont aussi rendu obligatoire l’utilisation d’une sorte de boîte noire dans les caisses enregistreuses pour contrer le travail au noir.

En Scandinavie, la technologie est plus rapidement adoptée

Il y a bien sûr aussi des différences culturelles. En Scandinavie, on adopte plus rapidement les technologies. Quasi tous les chauffeurs de taxi – ainsi que d’autres fournisseurs de services – acceptent les paiements par carte ou smartphone en Scandinavie, alors que ce n’est souvent pas le cas dans notre pays. Bien que ce ne soit guère commode de rechercher la monnaie exacte à l’arrière d’un taxi.

En Suède, vous avez également WyWallet, une app qui, dès le départ, a été supportée par les quatre grands opérateurs. Neuf Suédois sur dix peuvent utiliser cette app pour leurs paiements mobiles. Quand chaque banque a sa propre app, les commerçants adoptent souvent une attitude plus attentiste afin de savoir quelle technologie percera finalement.

Enfin, on est confronté à la question de l’oeuf ou la poule. Les commerçants n’installeront par exemple un terminal pour les paiements sans contact que si les clients veulent l’utiliser. Et la majorité des clients ne commenceront à payer avec le système sans contact que s’ils peuvent le faire partout ou du moins dans de nombreux endroits…

La Chine est probablement le précurseur mondial en matière de paiements mobiles pour les biens et les services.

En Chine, il y a bien sûr eu la croissance explosive de l’e-commerce. Les géants de l’Internet Tencent et Alibaba ont longtemps mené une guerre des prix pour leurs applications de paiement et les paiements mobiles. Cette tendance du paiement mobile est passée de l’online à l’offline.

En Chine, les cartes de paiement n’avaient en outre pas pénétré la société aussi intensivement que chez nous. Les Chinois avaient davantage besoin de la facilité d’utilisation des paiements mobiles. A cet égard, l’avancée technologique liée au paiement par cartes a eu un effet modérateur sur l’adoption des paiements mobiles et a dès lors joué en défaveur de l’Europe et des Etats-Unis. Le Kenya a par exemple également fait directement le saut du cash vers le mobile.

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