Denis-Emmanuel Philippe

Les holdings familiales: attention à la substance économique

Denis-Emmanuel Philippe Avocat-associé Bloom Law - Maître de conférences (ULg)

De nombreuses familles belges constituent une holding pour détenir leur patrimoine mobilier. Ces holdings détiennent tantôt un portefeuille d’actions cotées, tantôt des participations de contrôle dans des sociétés opérationnelles ou patrimoniales (sociétés immobilières,…). Pourquoi structurent-elles leur patrimoine de la sorte? Plusieurs raisons peuvent être citées.

D’abord, les dividendes recueillis par la holding sont déductibles à hauteur de 95% (régime des RDT, contenu aux articles 202 et 203 du CIR), moyennant le respect de certaines conditions. On épinglera en particulier la condition de participation minimale : la holding doit détenir une participation de 10% dans le capital de sa filiale ou une participation dont la valeur d’investissement excède 2.500.000 EUR, pendant un an. Illustrations:

  • Un chef de famille belge loge les actions de sa société opérationnelle au sein d’une holding. Les réserves de la société opérationnelle distribuées à la holding peuvent en principe bénéficier du régime des RDT, dans la mesure où la holding détient plus de 10% des actions de la société opérationnelle pendant un an.
  • La holding belge peut également être utilisée comme véhicule de détention d’actions cotées. La holding n’est, par hypothèse, pas en mesure de détenir une quantité de titres suffisante pour que la participation atteigne le pourcentage de 10% requis. Dans ce cas, le régime des RDT jouera malgré tout si la valeur d’investissement des actions est supérieure à 2.500.000 EUR. Le régime des RDT est donc, en pratique, réservé aux portefeuilles d’actions cotées composés de lignes d’investissements de minimum 2.500.000 EUR. Le recours à une holding n’est, on le voit, pas à la portée de toutes les bourses…

En outre, l’article 192 du CIR prévoit une exonération des plus-values sur actions réalisées par la holding, pour autant que celles-ci aient été détenues pendant un an. Si ce régime d’exemption a été écorné au cours des dernières années, il reste néanmoins l’un des plus attractifs au sein de l’Union européenne. On épinglera, en particulier, l’absence de seuil minimal de participation. Même le Luxembourg est plus strict que nous, puisqu’il subordonne l’exonération des plus-values sur actions à la détention soit (i) d’une participation dans le capital de la filiale d’au moins 10% soit (ii) d’une participation dont le prix d’acquisition atteint au moins 6.000.000 EUR.

Très souvent, la constitution d’une holding familiale va de pair avec la mise en place d’une planification successorale. Par exemple: le pater familias fait une donation des actions de la holding à ses enfants, tout en se réservant l’usufruit.

Implémentation en droit belge de la mesure anti-abus de la directive mère-filiale

La Directive 2015/121/UE du 27 janvier 2015 a introduit une nouvelle mesure anti-abus dans la Directive mère-filles. Elle prévoit que les Etats membres ne peuvent accorder les avantages de la Directive à un montage “non authentique” répondant à des motivations purement fiscales. Cette mesure anti-abus devait être transposée par les Etats membres pour le 31 décembre 2015, ce que la Belgique a fait tardivement (loi du 1er décembre 2016). L’impact de cette disposition sur les holdings familiales ne peut être sous-estimé. Pour illustrer mon propos, je reprendrai les deux exemples précités (holding détenant des actions cotées ; holding détenant une société opérationnelle).

La holding familiale détient des actions cotées

Voici une holding familiale qui détient une participation dans AB InBev, dont la valeur d’investissement excède 2.500.000 EUR. Suivant le nouvel article 203,§1,7° du CIR, les dividendes recueillis par la holding ne pourront bénéficier des RDT – et seront donc pleinement taxés à l’impôt des sociétés (au taux de 33,99%) – si

  • l’utilisation de la holding vise à obtenir, à titre d’objectif principal ou au titre d’un des objectifs principaux, la déduction des RDT ;
  • la holding n’est pas “authentique”, c’est-à-dire qu’elle ne répond pas à “des motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique”.

En bref, le fisc pourra combattre ce montage (et taxer pleinement les dividendes) si celui-ci est artificiel et s’il a été principalement constitué pour bénéficier de la déduction des RDT. Il ne faut toutefois pas se fourvoyer. La règle anti-abus restera selon moi uniquement applicable dans des cas “extrêmes”. Par exemple: plusieurs membres d’une même famille rassemblent leurs participations dans une société cotée au sein d’une holding, dans le but précis d’atteindre le seuil de 2.500.000 EUR (condition de participation minimale des RDT).

Les organes de la holding ont plus que jamais intérêt à bien documenter tous les actes de gestion

En tout état de cause, la disposition anti-abus sera écartée si la holding – outre des motifs fiscaux (déduction RDT) – est utilisée pour des motifs commerciaux valables. Selon les travaux préparatoires de la loi du 1er décembre 2016, il en irait ainsi en présence d’une “gestion financière active” de la holding. Il va dès lors de soi que les organes de la holding ont plus que jamais intérêt à bien documenter tous les actes de gestion (par ex. les décisions d’investissement et de désinvestissement, comme l’achat et la vente de participations), afin de renforcer leur dossier en cas d’un éventuel contrôle.

La holding familiale détient une société opérationnelle

Un chef de famille belge a logé les actions de sa société opérationnelle au sein d’une holding. Les dividendes de la société opérationnelle distribués à la holding peuvent en principe bénéficier d’un régime de faveur:

  • exonération du précompte mobilier au niveau de la société filiale (article 106, §6 AR/CIR) et
  • déduction à titre de RDT au niveau de la holding (articles 202 et 203 du CIR).

La nouvelle disposition anti-abus de la directive mère-filiale pourrait jouer ici aussi, en particulier si la holding est artificielle et a été constituée dans l’optique d’obtenir, à titre principal, la déduction des RDT et/ou l’exonération du précompte mobilier. La disposition anti-abus ne sera toutefois pas applicable si la holding est dotée d’une véritable substance économique (montage “authentique”).

Pour être plus concret: imaginons que la holding se limite à la détention de la société opérationnelle, sans immixtion dans sa gestion (“holding passive”). Elle n’a, en outre, pas de bureau propre, pas d’employés, etc. La holding ne fait pas l’objet d’une gestion financière active. Dans ce cas, la holding pourrait s’apparenter à une construction artificielle, ce qui entraîne des risques fiscaux non négligeables (refus de la déduction des RDT, refus de l’exonération du précompte mobilier).

Comment conforter son dossier en cas de contrôle? Quelles précautions faut-il prendre?

Quelques exemples:

  • La holding détient plusieurs participations (centralisation des sociétés du groupe sous une holding faîtière);
  • La holding exerce une réelle activité économique. Elle est active dans la gestion de sa ou ses filiale(s). Elle utilise, par exemple, les dividendes reçus pour octroyer des prêts à une société du groupe, ou pour faire de nouveaux investissements. Elle dispense des services administratifs, financiers, juridiques et comptables à sa ou ses filiale(s);
  • Organisation de la transmission d’un patrimoine familial aux générations futures (planification patrimoniale et successorale).

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