Mise à disposition gratuite d’un logement: un avantage anticonstitutionnel

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Votre employeur ou votre société vous autorise à occuper gratuitement un logement ? Vous êtes donc imposé sur l’avantage de toute nature correspondant. Mais deux cours d’appel viennent de statuer sur le caractère dans certains cas discriminatoires du calcul de l’avantage. Quelles conséquences attendre de ces décisions ?

D’après la législation fiscale, l’avantage correspondant à la mise à disposition gratuite d’une chose à un salarié ou un dirigeant d’entreprise est imposable, lorsque cette chose peut également être utilisée à des fins privées. L’exemple le plus connu est celui de la voiture de société, dont l’utilisation à titre privé est souvent autorisée. L’employeur ou la société peut déduire (partiellement) les charges afférentes au véhicule de son bénéfice imposable ; en échange, l’administration fiscale impose le salarié ou le dirigeant d’entreprise sur ce que l’on appelle un avantage de toute nature. Pour faire simple, le revenu professionnel imposable est majoré, de sorte que le revenu mensuel net du contribuable est légèrement moins élevé. La manière dont l’avantage est évalué dépend de la chose prêtée. S’il s’agit d’une voiture de société, elle est fonction de la valeur catalogue, de l’âge et des émissions de CO2 du véhicule. Plus celui-ci est bon marché et écologique, moins la fiscalité est pénalisante.

Mise à disposition gratuite d’un logement

De même, la mise à disposition gratuite (c’est-à-dire sans loyer en contrepartie) d’un logement à l’attention d’un salarié ou d’un dirigeant d’entreprise constitue un avantage de toute nature, calculé conformément à l’article 18 de l’arrêté royal d’exécution du code des impôts sur les revenus. On peut y lire que l’avantage est fixé forfaitairement, en fonction du revenu cadastral (RC). Le terme ” forfaitairement ” signifie que l’on ne tient pas compte de la valeur locative réelle du bien dans lequel le salarié ou le dirigeant d’entreprise vit avec sa famille.

Distinction

La législation fiscale fait une différence selon que l’habitation est fournie par une personne physique ou par une société.

Or la législation fiscale fait une différence selon que l’habitation est fournie par une personne physique ou par une société. Imaginons qu’un menuisier indépendant mette gratuitement à la disposition de son ouvrier un appartement dont il est propriétaire. Le revenu cadastral de base est fixé à 1.000 euros. Le salarié étant dispensé de payer un loyer, il est imposé selon la formule ” RC indexé x 100/60 ” stipulée dans l’arrêté royal. Soit, dans notre exemple, un avantage imposable de 1.000 euros x 1,7491 (indexation pour l’exercice d’imposition 2018) x 100/60, soit encore 2.915,16 euros par an. Ce montant est ajouté aux autres revenus imposables du salarié et imposé au taux marginal (50 % au maximum), augmenté de la taxe communale. En pratique, l’ouvrier verra son précompte professionnel augmenter, au détriment de son salaire net. Ce qui n’est toutefois pas grand-chose si l’on tient compte du loyer qu’il aurait à débourser pour s’offrir un appartement dont le revenu cadastral atteint la somme de 1.000 euros.

Imaginons à présent que notre menuisier exerce son activité en société (la situation que nous allons décrire ici est celle, fréquente, de la société qui prête un logement à son dirigeant ou gérant). Les lieux étant fournis par une personne morale, l’avantage imposable est calculé au moyen de la formule suivante : RC indexé x 100/60 x 3,8 (ou, si le revenu cadastral de base ne dépasse pas 745 euros : RC indexé x 100/60 x 1,25). Cette majoration par un facteur 1,25 ou 3,8 a été instaurée par le gouvernement Di Rupo en 2011. Si le revenu cadastral de base est fixé à 1.000 euros, l’avantage imposable équivaut à 1.000 x 1,7491 (indexation pour l’exercice d’imposition 2018) x 100/60 x 3,8, soit 11.077,63 euros par an. L’avantage imposable lorsque le bien est prêté par une personne morale (11.077,63 euros, dans notre exemple) est donc 3,8 fois plus élevé que lorsque la même habitation est fournie par une personne physique (2.915,16 euros, donc, ici). Il est par conséquent compréhensible que les dirigeants d’entreprise qui sont dans le cas s’estiment discriminés. Pour être complet, ajoutons que l’avantage de toute nature ainsi calculé doit être majoré de deux tiers si les lieux sont meublés.

Mise à disposition gratuite d'un logement: un avantage anticonstitutionnel
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Il est également possible que le dirigeant d’entreprise signe le bail à titre privé, mais que le loyer soit payé par sa société. Ici également, il sera imposé sur un avantage – lequel sera d’un point de vue fiscal pécuniaire et non de toute nature. Le dirigeant d’entreprise sera imposé à titre privé sur un avantage dont le montant équivaudra au loyer réellement payé par la société. L’avantage pécuniaire est généralement plus élevé que l’avantage forfaitaire (voir ci-dessus). Pour contourner cet écueil, il suffit de faire signer le bail par la société même (à savoir par le dirigeant d’entreprise/le gérant).

Anticonstitutionnel

On sait donc que l’avantage est plus élevé lorsque le logement est fourni par une personne morale (la plupart du temps, une société), par opposition à un indépendant/une personne physique.

Le contribuable qui occupe un logement prêté par une personne morale peut invoquer les arrêts des cours d’appel pour contester la méthode de calcul de l’avantage de toute nature.

La cour d’appel de Gand a mis cette distinction en cause le 24 mai 2016. La cour d’appel d’Anvers est parvenue aux mêmes conclusions dans son arrêt du 24 janvier 2017. Le calcul de l’avantage imposable est contraire au principe d’égalité garanti par la Constitution, dans la mesure où ledit avantage est nécessairement plus élevé lorsque l’habitation est prêtée par une personne morale. Un même bien peut donc donner lieu à deux impositions différentes, en fonction de la qualité (personne physique ou personne morale) du prêteur.

L’administration fiscale belge explique cette différence de traitement par le fait que les cadres et les dirigeants d’entreprise peuvent souvent se permettre de s’accorder l’usage gratuit d’une habitation luxueuse, alors que les salariés ” ordinaires ” doivent généralement se contenter, lorsqu’un logement est mis à leur disposition, de conditions modestes – une distinction que la loi ne reconnaît toutefois pas. La cour d’appel de Gand a donc conclu que l’arsenal juridique ne fournissait aucun argument objectif et sensé permettant de justifier cette façon de voir. L’avantage de toute nature doit en effet être évalué sur la base de la valeur intrinsèque de la chose, pas de l’identité de la personne qui la fournit. Les deux cours ont dès lors estimé que la différence de calcul était contraire au principe d’égalité garanti par la Constitution.

En pratique

Il est désormais permis de se demander si le contribuable qui occupe un logement mis gratuitement à sa disposition par une société va pouvoir invoquer ces arrêts pour attaquer l’imposition plus élevée dont il fait l’objet. Bien qu’un jugement ou un arrêt ne soit applicable qu’à l’affaire sur laquelle il porte, les arrêts des cours d’appel de Gand et d’Anvers offrent des opportunités aux personnes physiques à qui une personne morale permet d’utiliser gratuitement une maison ou un appartement – pour autant qu’elles déclarent effectivement cet avantage à l’impôt des personnes physiques.

Il existe deux manières de déclarer l’avantage à l’impôt des personnes physiques :

1. Le contribuable évalue l’avantage à 100/60e du RC indexé. Il n’utilise donc pas le facteur 1,25 ou 3,8 (comme cité plus haut). Il sera par conséquent imposé sur un avantage de toute nature moins élevé, ce qu’il pourra justifier en se référant aux arrêts précités.

2. Le contribuable évalue l’avantage à 100/60e du RC indexé, multiplié par 1,25 ou 3,8. L’avantage de toute nature renseigné sur son avertissement-extrait de rôle sera donc plus élevé. Il ne lui restera plus qu’à le contester, en introduisant une réclamation dans les six mois qui suivront l’expédition de ce document. Ici encore, il fera référence à la jurisprudence précitée. Cette méthode permettant d’éviter de subir une majoration d’impôt, elle est à préférer à la première.

Conclusion

Tout porte à croire que les arrêts des cours d’appel de Gand et d’Anvers vont faire jurisprudence. L’administration fiscale pourra donc difficilement les ignorer. Sachez toutefois que l’Etat belge dispose de trois mois après la signification de l’arrêt du 24 janvier 2017 pour se pourvoir en cassation. Sans modification de la loi, ou sans jugement contraire de la Cour de cassation, l’administration fiscale continuera à appliquer cette distinction, légale mais anticonstitutionnelle. Par contre, les arrêts inciteront de nombreux contribuables à contester leur avertissement-extrait de rôle pour éviter la majoration d’impôt. Reste à savoir comment le fisc va réagir à cela.

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