Comment les actions européennes ont regagné les faveurs des investisseurs

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Dans le sillage d’une croissance économique qui se renforce, les actions européennes ont regagné les faveurs des investisseurs internationaux en 2017. Il devrait en être de même en 2018, au profit en particulier des actions “value”, estiment depuis plusieurs mois de nombreux gestionnaires d’actifs.

C’est à juste titre que les actions européennes ont bénéficié d’un regain d’intérêt au cours des derniers trimestres, affir-me Dylan Ball, vice-président de Templeton Global Equity Group. Il observe d’abord que si le chômage est beaucoup plus élevé en Europe qu’aux Etats-Unis, il est en décrue constante, tandis que le crédit est à nouveau en expansion depuis 2015. Et il souligne que le tonus économique de l’Europe est, sinon flamboyant, du moins de bon aloi, un constat que l’on sait quasiment unanime.

De fait, plusieurs études publiées en fin d’année 2017 tablent sur une croissance de 2 % et plus, un chiffre toujours corrigé vers le haut par rapport à la précédente estimation. L’agence de notation Standard & Poors place à présent la barre à 2 % tandis que l’OCDE est passée à 2,1 %, venant de 1,8 %. Même niveau du côté de la Commission européenne, qui avance ce 2,1 % tant pour la zone euro que pour l’Union. Il faut rappeler que la croissance 2017 a, elle aussi, été revue à la hausse, et parfois de 0,5 % par rapport au chiffre cité en début d’année ! Cette croissance est donc devenue à la fois plus tangible et plus crédible, d’où l’intérêt accru des investisseurs internationaux.

ArcelorMittal fait partie des titres faiblement valorisés qui méritent une plus grande attention.
ArcelorMittal fait partie des titres faiblement valorisés qui méritent une plus grande attention.© REUTERS

Ratios faibles…

Fort bien, mais le rebond des Bourses européennes observé ces derniers mois n’anticipe-t-il pas déjà les conséquences positives que cette amélioration de l’environnement aura au niveau des bénéfices des entreprises ? Très peu, en réalité. Il faut toutefois prendre du recul pour s’en rendre compte, car les ratios habituels n’en donnent pas la pleine mesure, loin s’en faut. Que constate-t-on en effet ? Que le rapport cours-bénéfice des actions européennes était de 19,2 en novembre, observait alors Templeton, contre 29 aux Etats-Unis. C’est le rapport cours-bénéfice (C/B) normalisé qui a été calculé dans les deux cas. En clair : on prend une moyenne sur une dizaine d’années, ce qui élimine les fluctuations saisonnières ou même dues aux cycles économiques.

Le fossé qui sépare l’Europe des Etats-Unis en matière d’évaluation boursière est donc considérable, mais cet ordre de grandeur n’est pas exceptionnel et on ne saurait espérer un violent rattrapage des actions du Vieux Continent sur cette base. Autre approche : ce ratio de l’ordre de 19 est-il très inférieur à la moyenne historique ? Un peu, mais pas ” très “, puisque le rapport cours-bénéfice normalisé sur le long terme ressort à 21,5. Si Dylan Ball entrevoit ” que le potentiel haussier des actions européennes est considérable “, c’est pour une tout autre raison…

… et bénéfices misérables

BMW fait partie des titres faiblement valorisés qui méritent une plus grande attention.
BMW fait partie des titres faiblement valorisés qui méritent une plus grande attention.© Getty Images

Tandis que l’économie européenne sort de l’ornière creusée par la crise financière de 2007-2008, les bénéfices réalisés par les entreprises, eux, restent à la traîne (voir graphique 1). Les chiffres sont même consternants : alors qu’en Europe, ces bénéfices sont toujours inférieurs de 16 % à leur niveau d’avant la crise, aux Etats-Unis, ils leur sont supérieurs de 48 % ! Pour le moins interpellant… Les entreprises européennes sont-elles moins compétitives, ou bien le programme de relance de la BCE est-il moins efficace ? En réalité, la cause serait tout autre, avance Dylan Ball : face à la crise et surtout à la chute de l’inflation, ces entreprises ont volontairement raboté leurs marges, c’est-à-dire leurs bénéfices, pour tenir tête à la concurrence internationale. Fort logiquement donc, les entreprises européennes vont profiter de la reprise de l’inflation pour augmenter marges et bénéfices.

Templeton juge en conséquence que le moment est venu de passer aux actions value, c’est-à-dire aux entreprises dont la valeur intrinsèque est plutôt sous-estimée en Bourse. Il n’est pas trop tard puisque le ratio cours/valeur comptable des actions européennes est inférieur à sa moyenne historique. Secteurs mis en avant : l’industrie, la finance et le duo pétrole-gaz.

Le raisonnement tenu par l’auteur fait l’objet d’un large consensus : une légère inflation permet aux entreprises d’ajuster leurs prix, ” sans douleur ” pour le client, alors qu’une inflation quasiment nulle les en empêche, car ce serait trop voyant. La véritable question est dès lors : l’inflation va-t-elle vraiment rebondir, quittant la fourchette 1 à 2 % pour se situer entre 3 et 4 % ? Telle était l’hypothèse formulée au début 2017 déjà par Dylan Ball, qui ne fut nullement confirmée et que l’auteur n’a plus abordée en fin d’année. Sera-ce le cas en 2018 ? Les prévisions des derniers mois ne vont guère dans ce sens.

Nokia fait partie des titres faiblement valorisés qui méritent une plus grande attention.
Nokia fait partie des titres faiblement valorisés qui méritent une plus grande attention.© Getty Images

Invesco et JP Morgan très confiants

Le credo du vice-président de Templeton est-il caduc pour autant ? Directeur de la multigestion chez Invesco Asset Management, Bernard Aybran observe que les bénéfices réalisés par les entreprises européennes sont attendus en hausse de 12 % pour l’année 2017 et de 9 % pour la suivante. La petite baisse de tonus anticipée pour 2018 n’assombrit toutefois pas trop le tableau, d’autant que les analystes, qui avaient tendance à revoir leurs prévisions à la baisse au cours des années antérieures, leur ont plutôt imprimé une légère hausse ces derniers mois. L’énorme retard de l’Europe sur les Etats-Unis en matière de bénéfices des entreprises ne sera pas nécessairement comblé à bref délai, mais le rattrapage espéré est d’autant moins remis en cause… qu’il est aujourd’hui en route.

La banque JP Morgan, très importante gestionnaire de fonds, avait attiré l’attention sur les actions européennes de type ” valeur ” dès le début de l’année 2017. Ses analystes entrevoyaient un mouvement de hausse fondamental et durable. Parmi les arguments avancés : l’écart de performance devenu très (trop) important avec les actions de croissance : après la faste période 2000-2006, les actions value sont restées à la traîne pendant 10 ans. Cet écart atteignait 50 % à l’époque ! Une telle situation est souvent le prélude à un vif rattrapage, a-t-on observé dans le passé. JP Morgan avançait deux autres arguments. D’abord, que les attentes bénéficiaires demeuraient trop modestes à l’égard de plusieurs secteurs de type value. Ensuite, qu’une hausse de l’inflation – encore elle – jouait à l’avantage des actions de valeur. Deux secteurs étaient particulièrement pointés du doigt : les assurances et les banques. Au travers de son Europe Strategic Value Fund, fonds dédié aux actions ” valeur “, la banque affichait un large appétit pour ces dernières. Une option récemment confirmée par le gestionnaire Jon Ingram.

Comment les actions européennes ont regagné les faveurs des investisseurs

Cap sur les actions industrielles

Les actions de type ” valeur ” sont également mises en avant par la société de Bourse Leleux Associated Brokers : elles dominent la liste des 20 actions favorites de la maison pour 2018. Guère surprenant, il est vrai, car cette sélection s’inscrit dans une gestion de bon père de famille, qui exclut les titres trop spéculatifs. La méthode de sélection est en tout cas basée sur une approche value, puisque les deux premiers critères sont les rapports cours/bénéfice et cours/valeur comptable, les plus faibles figurant bien entendu en tête de classement. C’est sur cette base quantitative qu’une première sélection est opérée, explique Arnaud Delaunay, analyste financier.

Mettre l’accent sur la valeur pour repérer les sous-évaluations, c’est bien, à condition toutefois de ne pas tomber dans le piège du value trap, complète-t-il : et si la modestie de ces ratios, c’est-à-dire in fine celle du cours de Bourse, était due à des perspectives de bénéfices récemment dégradées ? Un troisième critère intervient donc : l’évolution attendue de ces bénéfices. Base : les modifications que les analystes spécialisés ont apportées dans leurs prévisions au cours des trois derniers mois. D’autres éléments entrent également en ligne de compte dans la sélection des 20 actions favorites. La Belgique est ainsi surpondérée, avec un quart du total. Pour l’étranger, Leleux s’en tient de toute manière aux pays voisins.

Comment les actions européennes ont regagné les faveurs des investisseurs

Cas exemplaire de l’approche value : la société immobilière batave Wereldhave (à ne pas confondre avec sa filiale belge, la SIR Wereldhave Belgium). Elle est la seule dans son secteur en Europe à afficher une décote de 20. Voilà qui explique un rendement brut exceptionnel de 8 % ! Autres titres faiblement valorisés : Nokia, BMW et ArcelorMittal. Sans oublier Engie, dont le cours reste légèrement inférieur à la valeur comptable, en dépit d’une hausse de l’ordre de 30 % en 2017. L’approche quantitative de départ est clairement nuancée par diverses caractéristiques propres à l’entreprise, de sorte qu’outre BPost, Proximus et Solvay, on trouve aussi Ontex et même Danone parmi les 20 élus.

Regain d’inflation ? Non, pas vraiment

Economiste en chef de la banque Degroof Petercam, Bruno Colmant n’imagine pas de regain inflationniste dans l’immédiat. Pourquoi ? Le premier élément, c’est le vieillissement de la population. Les personnes âgées manifestent une importante propension à épargner, ce qui limite la croissance, l’investissement et la consommation. Le phénomène est donc de nature désinflationniste. Or, le papy-boom auquel on assiste aujourd’hui, qui correspond à l’arrivée à la retraite des enfants du baby-boom (nés entre 1945 et 1965), ne durera pas 20 ans comme celui-ci, mais plutôt 40 ans, du fait de l’augmentation de l’espérance de vie. Le second élément est la digitalisation : le travail est moins rémunéré car c’est la machine qui accapare aujourd’hui une grande partie des gains de productivité. Il n’y a donc pas d’inflation par les salaires. Même en situation de quasi plein emploi, ainsi qu’on l’observe aux Etats-Unis.

Toutefois, si l’on observe historiquement une corrélation entre la croissance et l’inflation, une période de faible inflation, et même de déflation, n’est pas nécessairement synonyme d’absence de croissance. La fin du 19e siècle fut ainsi marquée par une déflation d’origine technologique, du fait des progrès de productivité engendrés par la révolution industrielle. Ceci n’empêcha pas un contexte positif en matière de croissance et d’emploi. ” Il est donc possible que l’on entre aujourd’hui dans une période de croissance, certes modeste, soit de l’ordre de 1,5 à 2 %, avec une inflation qui resterait basse “, conclut Bruno Colmant.

12 % La hausse des bénéfices réalisés par les entreprises européennes en 2017.

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