“Investir dans les énergies renouvelables coûte moins cher”

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Ilse De Witte Journaliste chez Trends Magazine

A en croire Marc-Philippe Botte, qui oeuvre pour Omnes Capital, un des plus gros investisseurs en énergie verte d’Europe, la révolution du marché est en marche, avec des énergies renouvelables qui ne sont plus aussi coûteuses qu’avant en termes d’investissements. ” Nous réfléchissons encore en termes de subventionnement des énergies renouvelables alors qu’elles constituent aujourd’hui la solution la moins chère “, explique-t-il.

“La Belgique et d’autres pays d’Europe ont une image tronquée du marché des énergies renouvelables. Nous réfléchissons encore toujours en termes de subventions. Le reste du monde a passé ce stade. Dans bien des cas, les énergies renouvelables constituent la solution la plus rentable “, affirme Marc-Philippe Botte, un des 10 partenaires d’Omnes Capital et directeur de la division Energies renouvelables depuis 2009.

Omnes Capital est une spin-off autonomisée de la banque française Crédit Agricole, qui gère plus de 3 milliards d’euros et investit dans des projets et des entreprises non cotées en Bourse (private equity). Une équipe d’Omnes Capital est spécialisée dans les investissements dans les énergies renouvelables. ” Nous avons débuté en 2006 avec un premier fonds de 109 millions d’euros dédié aux énergies renouvelables, précise Marc-Philippe Botte. Nous gérons actuellement 850 millions d’euros. Nous devrions passer la barre du milliard dans deux ans. Le marché des énergies renouvelables a pris son envol .”

Marc-Philippe Botte.
Marc-Philippe Botte.© PG

MARC-PHILIPPE BOTTE. Le marché des énergies renouvelables est gigantesque. Quelque 300 milliards d’euros sont investis annuellement dans les énergies alternatives de par le monde. Les énergies renouvelables étaient autrefois une sorte de rêve inaccessible pour les écologistes. Aujourd’hui, 60 % de la nouvelle capacité énergétique développée dans le monde provient de ces énergies renouvelables. En Europe et aux Etats-Unis, on y investira autant au cours des cinq prochaines années que dans les énergies conventionnelles. Les énergies renouvelables sont désormais très concurrentielles. C’est une des plus grandes révolutions depuis la révolution industrielle, et on a tendance à l’oublier en Belgique.

Les subventions jugées excessives des parcs éoliens de la mer du Nord et des panneaux solaires chez les particuliers provoquent pas mal de grincements de dents chez nous. Faut-il cesser de subsidier ?

Au départ, les énergies renouvelables avaient besoin d’un petit coup de pouce. Il n’y a pas si longtemps, les tarifs tournaient encore autour des 45 centimes par kWh en Europe. Le raisonnement a été inversé depuis lors. L’Etat n’impose généralement plus son tarif aux développeurs de parcs énergétiques : il leur demande aujourd’hui quels sont leurs besoins tarifaires pour pouvoir concrétiser leur projet. L’Etat préfère laisser jouer la concurrence entre entreprises énergétiques.

Aujourd’hui, 60 % de la nouvelle capacité énergétique développée dans le monde provient des énergies renouvelables.” Marc-Philippe Botte

La question n’est plus de savoir quelles subventions obtenir mais quel prix d’achat de l’énergie sera applicable à long terme. Plus personne ne se risquerait aujourd’hui à construire une centrale nucléaire, au gaz ou au charbon sans fixer un tarif à long terme. L’investissement est tellement colossal qu’il vaut mieux assurer ses arrières. Plusieurs centrales au gaz construites au début des années 2000 sont aujourd’hui à l’arrêt. Plus personne ne se lancerait dans pareille aventure. L’Etat doit négocier un prix d’achat à long terme avec les développeurs de projets énergétiques.

Le soleil n’est pas très généreux en Belgique. Les parcs photovoltaïques sont donc moins rentables – et plus coûteux – dans notre pays que dans les pays plus ensoleillés.

Nous avons organisé un appel d’offres pour l’approvisionnement énergétique en France et en Allemagne. Parmi les dernières offres, la plus basse s’élevait à environ 7 centimes par kWh en France et 6 centimes en Allemagne. Le prix des énergies renouvelables a considérablement baissé ces dernières années. A titre de comparaison : l’entreprise française d’utilité publique EDF va construire une nouvelle centrale nucléaire au Royaume-Uni. EDF a convenu avec les autorités britanniques un prix d’achat de plus de 9 pences (10,6 centimes) par kWh pour les 35 prochaines années. En ce qui concerne les énergies renouvelables, les contrats portent généralement sur 15 à 20 ans. La nouvelle capacité générée par l’énergie conventionnelle est nettement plus coûteuse que la nouvelle capacité générée par les énergies renouvelables, ce qui a pour effet de booster le marché.

La Belgique a-t-elle négocié des tarifs trop élevés pour ses parcs éoliens offshore ?

La Belgique a joué un rôle de pionnière. Notre pays a stimulé le marché et tout le monde en cueille aujourd’hui les fruits. La Belgique est aussi le premier pays du continent européen à s’être doté du chemin de fer. Nous avons probablement payé la toute première ligne ferroviaire, reliant Bruxelles à Malines, plus cher que les pays qui ont ensuite suivi notre exemple.

Un tarif de 7,2 centimes par kWh a été convenu pour les parcs éoliens offshore que le producteur énergétique danois Dong est sur le point de construire le long des côtes néerlandaises. Soit près de la moitié de ce que paie la Belgique pour son énergie éolienne générée en mer du Nord, mais ces parcs éoliens belges ont été construits plus tôt. L’installation d’un parc coûte de moins en moins cher et de ce fait, les prix de vente baissent. Par ailleurs, la situation aux Pays-Bas n’est tout à fait comparable à celle qui prévaut en Belgique en ce sens que l’Etat néerlandais a accepté d’assumer une partie des risques de développement, ce qui se traduit très logiquement par un prix de vente moindre.

La baisse des coûts d’investissement est tout aussi spectaculaire dans le domaine de l’énergie solaire. Le prix des cellules photovoltaïques a chuté : le même panneau coûte parfois jusqu’à deux fois moins cher qu’avant. D’où le succès retentissant des énergies renouvelables. Cela se vérifie également dans le discours des grands producteurs énergétiques. Ils attachent désormais plus d’importance aux énergies renouvelables qu’aux conventionnelles dans leurs business plans. Les investisseurs commencent, eux aussi, à se mobiliser. Il y a quelques mois, le conglomérat allemand RWE a introduit en Bourse son département énergies renouvelables, baptisé Innogy. Innogy vaut actuellement près de 19 milliards d’euros en Bourse, beaucoup plus que n’importe quelle autre entreprise énergétique allemande.

Bio

1998 : ingénieur commercial Solvay (ULB)

1998-2000 : assistant à l’ULB, Bruxelles

2000-2009 : directeur Fusions & Acquisitions, MeesPierson/Fortis Bank, Amsterdam/Paris

2009-2017 : partenaire d’Omnes Capital, Paris, siège dans des conseils d’administration en France, Belgique, Allemagne, Italie et Portugal

2012-2017 : professeur à Paris Dauphine

Pour l’heure, impossible de se passer du conventionnel. Cela ne risque-t-il pas de brider le développement des énergies alternatives ?

De fait. Il n’y a plus de soleil à 7 h du soir. Vous avez raison : on ne peut pas encore se passer des énergies conventionnelles. La Belgique est obligée de faire fonctionner quelques centrales énergétiques traditionnelles tout simplement parce qu’elle a besoin d’énergie à ces moments de la journée. Un jour peut-être, dans cinq ou 10 ans, nous pourrons nous passer des centrales nucléaires, au gaz et au charbon. Ou peut-être pas. C’est impossible à dire car cela dépend, entre autres, de notre capacité à stocker l’énergie.

A l’heure actuelle, notre stockage est essentiellement indirect. Certains barrages, dans les Alpes françaises, font remonter de l’eau par pompage en utilisant l’électricité excédentaire pendant les heures creuses de la nuit. Et en journée, l’eau redescend pour produire de l’électricité aux heures de pointe de consommation.

 Le prix du panneau photovoltaïque peut être jusqu'à deux fois moins cher qu'il y a quelques années.
Le prix du panneau photovoltaïque peut être jusqu’à deux fois moins cher qu’il y a quelques années.© ISTOCK

Le stockage peut aussi être direct. De grandes batteries capables de stocker plusieurs mégawatts sont actuellement en cours d’expérimentation. On est encore loin du compte. Les progrès technologiques sont indéniables mais notre dépendance aux énergies conventionnelles ne pourra être véritablement réduite que lorsque le stockage massif sera rentable.

La solution pourrait-elle venir en partie des particuliers qui roulent en voiture électrique ou font installer un accumulateur, comme le Powerwall de Tesla, chez eux ?

Selon certaines théories, la voiture électrique représente la batterie du futur. Les bornes de recharge sont malheureusement encore insuffisantes. Des expériences actuellement en cours visent à faciliter le rechargement des batteries à domicile, sur un grand réseau de stockage. Rien ne dit que ce sera possible et si c’est le cas, ce ne sera sûrement pas pour demain. Nous nous dirigeons par contre de plus en plus vers un réseau intelligent dans lequel les lave-linge, par exemple, entrent en action au moment où l’électricité est la meilleur marché, et où tous les consommateurs produisent de l’électricité quand c’est nécessaire. L’énergie peut être stockée dans un boiler, par exemple. Ce type de modèle fait peu à peu son apparition mais c’est davantage l’exception que la règle.

Quel genre d’investisseurs peut investir dans vos fonds ?

La Belgique a joué un rôle de pionnière. Notre pays a stimulé le marché et tout le monde en cueille aujourd’hui les fruits.” Marc-Philippe Botte

Nos clients sont des investisseurs institutionnels, comme des fonds de pension ou des assureurs, et des particuliers très fortunés. Nous avons quelques accords avec des banques privées. L’investissement minimum est de 500.000 euros. Nos fonds ont une durée de 10 ans. Quand on investit dans des centrales solaires ou des parcs éoliens, on sait dans quoi on investit. C’est du concret, du palpable.

Les investisseurs s’engagent et chaque fois quand nous envisageons un investissement, nous leur demandons de concrétiser cet engagement au prorata de l’importance du projet. Quand on conclut un deal de 20 millions d’euros dans le cadre d’un fonds de 200 millions d’euros, le dixième de la somme que chaque investisseur s’est engagé à avancer, est réclamé et investi dans la transaction. Ce sont des hard commitments (des engagements lourds, Ndlr). Autrement dit, les investisseurs ne peuvent pas se désister au moment de la transaction. Ils sont tenus de verser la somme promise.

Quels rendements peut-on espérer ?

Le rendement dépend du moment d’entrée et du type d’investissement. Plus nous prenons de risques, plus le rendement doit être élevé. Nous avons un fonds par le biais duquel nous participons à des projets, des parcs solaires par exemple, déjà concrétisés et opérationnels depuis plusieurs mois. Nous connaissons avec précision le taux d’ensoleillement dans la région, la quantité d’électricité générée, les coûts d’exploitation, la maintenance, le nombre d’heures à payer pour l’exploitation du parc au propriétaire du terrain, etc. Même le prix qu’on peut obtenir pour l’électricité générée est fixé. Ce genre de projet produit un rendement de 8 % environ. Pour d’autres fonds, nous intervenons à un stade plus précoce, au moment où les permis ont été délivrés, et le tarif par kWh est en cours de négociation. Le parc n’est pas encore construit et il faut assumer les risques liés à la construction. Ces risques se traduisent par une rémunération plus élevée, soit 1 ou 2 % de rendement supplémentaire.

Enfin, nous avons aussi dans notre assortiment des fonds qui investissent dans des entreprises, comme la société française Neoen qui développe des parcs énergétiques dans le monde entier, du Salvador à l’Australie. La prise de risque étant plus grande, nous attendons un rendement supérieur à 15 %, en ligne avec d’autres investissements private equity.

Quel serait le pire des scénarios ?

Il faut faire la part des choses entre les différents investissements possibles. Un fabricant de pièces d’éoliennes, comme Vestas par exemple, n’est jamais à l’abri d’un défaut de fabrication dans une série complète. Quand on investit dans une société qui fabrique des panneaux solaires, on dépend des progrès technologiques et des parts de marché que l’entreprise peut perdre ou gagner sur la concurrence. A côté de cela, des sociétés comme Innogy ou EDP Renováveis, une filiale du portugais Energias de Portugal (EDP), développent dans le monde entier des projets générateurs d’énergies alternatives. Les projets décrochés dans une région peuvent être moins nombreux qu’espéré. Heureusement, les risques sont assez dispersés géographiquement, mais certains développeurs concentrent davantage leurs activités au niveau régional. Autant de risques propres aux investissements en actions.

Un investissement dans un projet qui ne s’est pas encore concrétisé mais pour lequel un permis a été délivré présente des risques liés à la construction. A cela s’ajoute le risque d’une étude de vent erronée. Si le nombre d’heures de vent est moins élevé que dans les estimations, le rendement sera, lui aussi, inférieur. Il se peut également qu’un autre parc éolien soit construit à quelques kilomètres de distance. Un parc proche peut ” voler ” le vent. Le risque d’erreur d’évaluation est plus limité en ce qui concerne les parcs solaires. On peut aussi réduire les risques en investissant dans un portefeuille regroupant plusieurs parcs. Impossible de se tromper à chaque fois. Les risques sont aussi moindres quand on investit dans des parcs éoliens existants et déjà opérationnels.

Quid quand un tremblement de terre détruit un parc solaire ou éolien en Italie ?

Ce genre d’événement est exceptionnel. Nous n’avons encore jamais eu le cas dans notre portefeuille. Par contre, il est déjà arrivé qu’un hélicoptère s’écrase sur un de nos parcs solaires. C’est de l’ordre du possible et il faut donc s’assurer contre de tels risques. Mais contre des phénomènes comme des catastrophes naturelles, c’est beaucoup plus difficile. Autre risque dont il faut tenir compte : l’usure prématurée de certaines pièces. On peut s’assurer contre le risque d’usure, voire demander aux fabricants de le prendre en charge. Ils sont alors tenus de remplacer les pièces usées. Un fabricant peut aussi faire faillite. Il vaut donc mieux collaborer avec les meilleures entreprises du secteur. Autre risque à ne pas sous-estimer : la durée de vie du parc. Selon le pays où on opère, les tarifs peuvent se négocier sur 15 ou 20 ans. Passé ce délai, le parc reste opérationnel mais l’énergie doit être vendue sur le marché. Or, personne ne peut prédire l’évolution des prix du marché sur 15 ou 20 ans. Si les prix sont inférieurs aux prévisions, le rendement final s’en ressentira.

Vous n’avez pas encore évoqué la biomasse. Pourquoi ?

La création d’énergie à partir de biomasse est beaucoup plus complexe, plus risquée. Pour commencer, il faut acheter un produit, la biomasse, sans avoir une idée précise de l’évolution du prix d’achat de ce produit à long terme. Son prix pourrait grimper dans 20 ans. Secundo, le processus industriel est nettement plus complexe. Là aussi, les choses pourraient ne pas se passer comme prévu. Les rendements nécessaires pour développer ce type de centrale sont considérablement plus élevés que pour les parcs solaires et éoliens.

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