Carte blanche

Investisseur : le danger d’une masse de plus en plus stupide

La croissance de l’investissement dit passif, par le simple suivi d’indices via des trackers, des ETF et des produits smart beta, rend les investisseurs de plus en plus stupides en moyenne. Et c’est dangereux, estime Pars Anand, responsable des actions pan-européennes chez le gestionnaire de fortune Fidelity.

‘Si de moins en moins de personnes s’occupent réellement de la valeur des actifs et que tout le monde suit la tendance générale principale, l’ensemble du troupeau suivra peut-être un jour le mauvais mouton.’

On estime qu’environ 20.000 milliards de dollars, soit presque un tiers des actions de capitalisation mondiales, sont aujourd’hui gérés passivement. De plus en plus de décisions d’investissement se prennent automatiquement: la popularité des trackers, des ETF et des produits ‘smart beta’ s’envole. Le faible seuil d’entrée et l’idée de ‘suivre le marché’ font que l’investisseur considère cela comme une manière facile et peu risquée d’obtenir des rendements moyens.

Facile, ça l’est en effet, car les marchés financiers et la manière dont ils déterminent la valeur des actifs, on pourrait les comparer à une salle remplie de personnes qui doivent deviner le nombre de bonbons dans un bocal. Les expériences ont démontré que le nombre moyen de bonbons que les participants devinent se situe invariablement plus proche de la réalité qu’un pari individuel d’une seule personne dans la pièce. C’est ce que l’on appelle la sagesse des foules ou l’intelligence collective.

Pour faire fonctionner cette sagesse avec succès, la population des participants doit toutefois être suffisamment diversifiée. Traduit en termes de marchés financiers, cela signifie que le prix d’une action (le nombre de bonbons) est toujours une moyenne de la valeur que l’ensemble des différents acteurs sur le marché lui attribuent: les optimistes et les pessimistes, les personnes favorables aux dividendes et celles qui y sont défavorables, mais aussi ceux qui ont des analyses détaillées et ceux qui ont des outils plus simples, les investisseurs à court terme et les investisseurs à long terme, etc.

Trop de personnes sont contentes avec la moyenne de marché

Et c’est là où le bât blesse, car l’efficacité collective est compromise du fait que la diversité parmi les investisseurs disparaît. Trop de personnes sont, toutes ensemble, contentes avec la moyenne de marché, ce qui fait que de moins en moins de personnes recherchent réellement combien de bonbons se trouvent dans le bocal. Comme les suiveurs passifs font également partie du système, étant donné leur nombre croissant, ils diminuent la diversité de la population d’investisseurs, et la masse (que celle-ci le voie ou non) devient de moins en moins sage, et oui, même stupide dans une mesure croissante. L’ensemble du troupeau risque de la sorte de courir derrière le mauvais mouton à un certain moment. Toute l’histoire de l’investissement passif ne fonctionne en effet que si une majorité significative des acteurs de marché continue effectivement à rechercher le prix et la valeur des actifs.

Maintenant qu’un tiers des acteurs de marché agissent en pratique comme des ‘suiveurs’, le marché est devenu fondamentalement inefficient à mes yeux. Pour les suiveurs passifs, un bref regard sur l’histoire du marché enseigne que lorsqu’une seule catégorie d’investissement, un seul style ou secteur connaît une telle augmentation de popularité, que celle-ci met les autres méthodes d’investissement entièrement dans l’ombre, cela se termine rarement de manière positive. Pour les investisseurs plus faiblement actifs, une telle période signifie, il est vrai, une augmentation du nombre d’opportunités d’entrée (à cause de la faible diversité dans la population), mais en revanche, le temps que cela dure avant que l’efficience de marché se rétablisse sera beaucoup plus long et plus chaotique. Lisez: les rendements issus de la gestion active de l’investissement seront probablement clairement plus élevés, mais les investisseurs et les clients doivent néanmoins faire preuve de patience pour attendre la fin du parcours. Dans les circonstances de marché actuelles, c’est plus que jamais un défi.

En conclusion, l’ancienne sagesse selon laquelle ‘there is no such thing as a free lunch’ vaut pour tout le monde : les investisseurs à qui l’on présente un graphique avec les chiffres de croissance attendus de l’une ou l’autre catégorie d’investissement, feraient de toute façon bien de regarder ce que la popularité d’une seule manière d’investir signifie pour l’efficience des marchés. Cette dernière paie tôt ou tard un prix pour cela.”

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