Pourquoi les banques ne proposent pas l’ensemble des fonds d’investissement

© GETTY IMAGES

Vous vous êtes peut-être déjà demandé pourquoi votre intermédiaire financier ne propose pas certains fonds d’investissement, pourtant disponibles chez d’autres gestionnaires. Ce choix est dicté par plusieurs facteurs, et à en juger par le refus de certaines personnes interrogées d’être citées, la question demeure sensible.

Il ne faut pas mettre dans le même sac tous les intermédiaires financiers qui proposent des fonds d’investissement à la vente. Il y a d’une part quelques grandes banques qui ne distribuent et ne proposent que leurs propres produits. Selon Filip Perneel de Test-Achats Invest, les grandes banques font la différence entre les clients ordinaires et les clients en private banking, une clientèle plus nantie et plus exigeante. Pour ce second groupe, il existe des fonds externes, dit en ” architecture ouverte “.

Ensuite viennent des acteurs tels que MeDirect et de BinckBank qui ne proposent que des fonds externes. Leur offre peut varier de quelques dizaines de fonds à plus de 1.000. Les vendeurs de fonds opèrent une sélection parmi les innombrables fonds disponibles pour leurs clients qui y perdraient sinon leur latin. Pour pouvoir vendre ces fonds, des accords de distribution sont conclus avec différents gestionnaires.

Certaines banques, comme la Deutsche Bank, proposent à la fois leurs propres fonds et des fonds de tiers. La banque allemande soumet des fonds de 28 gestionnaires différents et publie une liste privilégiée de quelque 35 fonds de placement pour faciliter la vie de ses clients.

Facteurs financiers

Il serait naïf de croire que l’aspect financier n’intervient pas dans le choix des fonds ou de la société de gestion des fonds. Certains acteurs admettent volontiers que cet aspect joue effectivement un rôle. D’autres, par contre, affirment que le revenu financier n’est pas déterminant. ” Quand on propose de bons fonds, les clients sont satisfaits, reviennent et investissent davantage, déclare Knut Huys de la Deutsche Bank. Les rétrocessions ne jouent pas du tout dans la sélection des fonds. ”

Rétrocession, le mot est lâché. La rétrocession est l’indemnité annuelle que perçoit le distributeur pour vendre le fonds (lire l’encadré ” Des règles plus strictes pour les rétrocessions “). Elle varie généralement de 0,4 à 0,7 %. MeDirect, par exemple, publie pour chaque fonds les rétrocessions reçues de la société de fonds. La banque en ligne souligne par ailleurs que tous les fonds ne donnent pas droit à une rétrocession. ” Mieux un fonds se vend, plus les intermédiaires y gagnent, ” conclut Filip Perneel.

Il faut également savoir que les gestionnaires de fonds proposent généralement plusieurs types d’un seul et même fonds, ce qu’on appelle les catégories de fonds. Il nous a été précisé que la catégorie destinée aux clients particuliers ordinaires donnait lieu à une indemnité de gestion plus élevée et que de ce fait, les gestionnaires pouvaient concéder des rétrocessions plus importantes aux distributeurs. Les gestionnaires pratiquent des tarifs moins élevés pour les clients institutionnels.

” Les conditions et l’importance des rétrocessions constituent un facteur dont les intermédiaires tiennent comptent lorsqu’ils doivent choisir parmi plusieurs gestionnaires, reconnaît Thomas Vanderlinden de la société de gestion de fonds Mercier Vanderlinden. Nous ne signons pas d’accord de distribution avec les banques et les courtiers mais proposons nos fonds nous-mêmes sur le marché, en tant que banquier privé. Les investisseurs non affiliés chez nous peuvent évidemment acquérir nos fonds par d’autres canaux. La catégorie R est réservée aux clients avec lesquels nous avons signé un contrat de gestion de patrimoine. Quant aux clients que nous ne connaissons pas et qui achètent nos fonds via d’autres intermédiaires, seule la catégorie C est accessible, moyennant une indemnité de gestion plus élevée. ”

Il nous a été rapporté, lors de notre enquête, que les intermédiaires financiers vendent de plus en plus la version institutionnelle d’un fonds aux clients fortunés car les frais sont 50 % moins élevés. L’intermédiaire ne touche en outre aucune rétrocession ou une rétrocession moindre. ” Le rendement pour le client est donc supérieur, ” fait remarquer un de nos interlocuteurs.

Le rôle du marketing

L’aspect financier n’est évidemment pas le seul à entrer en considération. Les distributeurs tiennent compte d’autres facteurs également. L’importance du marketing et de la notoriété dans la sélection de fonds ne doit pas être sous-estimée. ” On a tendance à reprendre des noms bien établis dans l’architecture ouverte. Les clients les connaissent, la presse spécialisée en parle. Les ordres sont alors potentiellement nombreux, explique Filip Perneel de Test-Achats Invest. Le marketing est en outre la seule façon d’attirer l’attention sur un fonds : c’est important pour bien pêcher dans un vivier de fonds très poissonneux. ”

Le marketing peut être assuré par le gestionnaire de fonds qui met ainsi en exergue un produit donné pour un marché donné, mais aussi par le distributeur, à l’instigation ou non du gestionnaire. Moins un fonds compte d’awards ou d’étoiles Morningstar, plus le marketing est appelé à jouer un rôle important.

Le marketing est la seule façon d’attirer l’attention sur un fonds : c’est important pour bien pêcher dans un étang de fonds très poissonneux.” Filip Perneel, Test-Achats

Karel Vanhuysse, de la société de gestion de fonds Pictet, évoque l’importance du ” marketing pour le gestionnaire de patrimoine “, une façon de mettre en avant la présence locale, l’agréation du site web par la FSMA (le contrôleur financier), la publication régulière de fiches de fonds et de brochures, les présentations pour les clients. Le gestionnaire Fidelity admet lui aussi volontiers que la qualité générale et l’appui de la société de fonds pèsent de tout leur poids lors de la sélection des fonds proposés par les distributeurs.

Confirmation de Keytrade Bank, le supermarché des fonds, par la bouche de Gorik Nelissen pour qui l’émetteur doit avoir un représentant dans le Benelux. ” La réglementation et la fiscalité sont d’une complexité telle qu’une personne de contact supervisant le marché belge s’avère indispensable. Un distributeur qui ne connaît pas et ne suit pas la réglementation en Belgique a peu de chance d’arriver sur notre plateforme. Il faut évidemment aussi faire enregistrer le fonds à la FSMA. ” Le site de Keytrade Bank compte actuellement 46 gestionnaires de fonds et pas moins de 560 fonds.

Le gestionnaire de patrimoine Invesco, pour sa part, indique que la présence locale accrue des grandes sociétés de fonds a pour effet d’attiser la concurrence entre les différentes maisons pour se faire bien voir des distributeurs.

Rendements historiques

Des rendements historiques peuvent également convaincre les distributeurs de fonds. A en croire Erwin Deseyn de CapitalatWork, ce critère joue un rôle essentiel lors de la sélection opérée par les distributeurs. ” Or ces rendements ne sont pas toujours annonciateurs de rendements à venir. On omet souvent d’analyser le processus d’investissement du gestionnaire. Avec le risque que le gestionnaire de fonds, qui voit son patrimoine en gestion exploser après une excellente année, enregistre des résultats décevants l’année suivante. ” D’autres comme Erik Van De Weele de Henderson imposent un minimum d’exigences comme un trackrecord de trois ans au moins et un patrimoine de 100 millions d’euros minimum.

Les distributeurs sont aussi très proactifs. Quand un thème ou un fonds qui gagne en popularité manque à l’appel et la demande des clients se fait de plus en plus pressante, ils n’hésitent pas à reprendre les nouveaux fonds dans leur assortiment. Pour Knut Huys (Deutsche Bank), c’est l’évidence même : ” Nous réajustons constamment notre offre de fonds. Si des lacunes se font jour ou si des opportunités se présentent, nous réagissons et lançons un nouveau partenariat. La Deutsche Bank a été la première banque en Belgique à proposer les fonds Carmignac à ses clients. ”

Facteurs techniques

Outre l’aspect financier et le marketing, le distributeur attache également de l’importance à la question technique. Chaque courtier travaille avec une plateforme commerciale extérieure, un transfer agent comme on dit dans le jargon, pour le négoce des fonds. C’est plus simple que de traiter avec le gestionnaire de patrimoine, selon Filip Perneel de Test-Achats Invest. ” La plateforme assure toute la procédure de transaction de A à Z et fait en sorte que la banque – et non le client particulier – soit considérée comme cliente de BlackRock. Pour ce faire, la banque paie une redevance et le jeu est joué. Ceci dit, les distributeurs sont dès lors liés aux produits proposés sur la plateforme. Ces listes interminables ne sont pas toujours exhaustives. Elles dépendent des deals conclus entre les plateformes et les gestionnaires de patrimoine. ”

Quand Keytrade Bank souhaite par exemple proposer un fonds de Fidelity en ligne, elle doit d’abord avoir l’autorisation de le vendre. Elle ne peut le faire qu’à partir du moment où ce fonds de Fidelity est disponible sur la plateforme commerciale à laquelle Keytrade Bank est affiliée. Autrement dit, même si un distributeur veut proposer tous les fonds, il n’est pas tout à fait libre de choisir.

Par Francis Muyshondt.

Des règles plus strictes pour les rétrocessions

Les directives européennes MiFID II, qui entreront en vigueur le 3 janvier 2018, imposent de nouvelles contraintes aux banques, aux gestionnaires de patrimoine et aux conseillers en investissement pour pouvoir toucher des commissions. Les conseillers en investissement ne pourront plus percevoir de commissions que s’ils peuvent prouver que celles-ci contribuent à accroître la qualité de leurs services, par exemple en donnant accès au client à une plus grande palette de produits d’investissement. En outre, les commissions ne pourront pas créer de conflit d’intérêts et le conseiller doit informer le client qu’il touche une commission et en préciser le montant.

Le législateur européen n’a pas opté pour une interdiction de provision, comme c’est le cas aux Pays-Bas. Notamment parce que la perte des revenus des commissions augmenterait les coûts des conseils en placement à charge du client.

Partner Content