Quatre questions avant d’investir dans le cigare

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Ilse De Witte Journaliste chez Trends Magazine

Le cigare et le vin ont de nombreux points communs, à une exception près: “La vente de tabac est réglementée de façon beaucoup plus stricte que la vente de vin”, précise Stefan Bastiaenssens, rédacteur en chef du magazine spécialisé “Aromag”.

En 2005, le banquier britannique Gordon Johns se vantait de ses investissements dans le cigare dans le Financial Times. ” Les cigares cubains Davidoff des années 1970 étaient un de mes meilleurs placements, expliquait-il alors. J’ai payé 1.000 livres sterling par caisse de 25 cigares dans les années 1990 et je les ai revendus cinq fois plus cher 20 ans plus tard. Les cigares s’en vont littéralement en fumée quand ils sont achetés et fumés par les amateurs. Ce qui ne fait qu’ajouter à leur rareté et à leur valeur. ”

La situation a quelque peu changé depuis lors. ” La loi sur le tabac est de plus en plus stricte et le sera encore plus dans les prochaines années, affirme le connaisseur Stefan Bastiaenssens. Il est encore autorisé de boire un verre de vin mais le cigare est sur la liste noire des autorités. ” Le durcissement de la réglementation est tel que l’achat de vitoles dans la perspective de réaliser un bénéfice à la revente quelques années plus tard, comme l’a fait Gordon Johns, n’est plus aussi simple.

Il vaut donc mieux parler de collection ou d’investissement réservé aux amateurs de cigares. Gordon Johns achetait toujours deux caisses de cigares identiques, une pour son propre plaisir et une à conserver à titre de placement.

Quels cigares ?

Les collectionneurs du monde entier ne connaissent qu’un seul pays : Cuba. ” Oserais-je prétendre que les cigares de Cuba sont meilleurs que ceux des autres pays ?, lance Stefan Bastiaenssens. Une chose est sûre : le havane de Cuba est gage d’authenticité et de qualité. Les cigares cubains produits avant février 1962, date à laquelle le président Kennedy a approuvé l’embargo commercial à l’encontre de Cuba, sont très recherchés par les collectionneurs. ”

” Idem pour les cigares cubains Davidoff, produits entre 1968 et 1991 “, ajoute l’expert. A l’heure actuelle, Davidoff roule ses cigares en République dominicaine. Les Davidoff datant de l’époque de gloire de Fidel Castro à Cuba, sont extrêmement rares. Le Nicaragua et le Honduras sont deux autres pays producteurs de vitoles réputés. Mais Cuba reste au cigare ce que la France est au vin. ” Hormis quelques vins espagnols, californiens et les Barolo italiens, l’investisseur ne jure que par les vins français “, affirme Stefan Bastiaenssens.

Les Cubains ont très bien compris comment créer la rareté. ” Ils sortent chaque année des éditions limitées de havanes qu’ils vendent aux enchères à un public international au Festival del Habanos, ajoute le rédacteur en chef d’Aromag. Les cigares sont présentés dans un humidor superbement décoré, pour une conservation optimale. ”

Comment bien les conserver ?

Il y a d’autres ressemblances avec le vin. Le cigare bonifie avec le temps. ” Un jeune cigare est assez âpre de goût, estime Stefan Bastiaenssens. Il n’atteint sa pleine maturité qu’au bout de trois ans environ. Nous avons fait pas mal de recherches. La qualité du cigare décline généralement après sept ans. Notez toutefois quelques différences. Le tabac doux se conserve très mal, le tabac corsé nettement mieux. Un cigare respire, tout comme le vin, et finit par sécher au bout d’un moment. ”

Les investissements alternatifs, dont les cigares notamment, ont drainé des sommes colossales ces dernières années.

Malgré cela, certains amateurs sont prêts à dépenser des fortunes pour des cigares antiques. ” Certains oenophiles n’hésitent pas à investir dans des vins de 50, voire 100 ans, poursuit l’expert. Personnellement, je trouve que le goût du vin se détériore après un certain temps. Il en va de même pour les cigares. ”

Le vitole se conserve idéalement dans un environnement présentant le même taux d’hygrométrie que dans les Caraïbes, sa contrée natale. ” Le taux d’hygrométrie doit être élevé, entre 68 et 72 %, indique Stefan Bastiaenssens. Il faut donc conserver les cigares dans des armoires climatisées en bois de cèdre, à humidifier régulièrement sans quoi les cigares se déchirent et sèchent. La température a moins d’importance, pourvu qu’elle soit stable. ”

Comment acheter ou vendre des cigares ?

Pour acheter de simples cigares, il suffit de se rendre dans un magasin spécialisé, comme la Casa del Habano à Anvers. Il est quasi impossible d’acheter des cigares sur Internet à partir de la Belgique. ” J’ai retenté l’expérience récemment sur un magasin en ligne allemand mais comme le propriétaire refusait de les expédier en Belgique, j’ai finalement renseigné une adresse en Allemagne pour être livré “, témoigne Stefan Bastiaenssens.

Londres est le meilleur endroit pour acheter et vendre des cigares vintage. ” Le marché des cigares rares n’est pas très actif, ajoute le rédacteur en chef. Mais il existe au Royaume-Uni quelques maisons de ventes aux enchères spécialisées. Les vieux cigares très coûteux ont leurs aficionados. A Shanghai par exemple, les gens vivent entassés les uns sur les autres. Les Chinois investissent donc de préférence dans de petits objets, comme les bijoux, le vin, mais aussi les cigares. Davidoff fabrique même des séries spéciales pour les Chinois, avec des noms faisant référence à l’année du mouton, etc., en fonction de l’année du calendrier chinois. ”

Le cigare en Bourse

Peter Vanden Houte, chef économiste d’ING Belgique, met en garde : les investissements alternatifs, dont les cigares notamment, ont drainé des sommes colossales ces dernières années du fait des faibles taux d’intérêt et de la politique d’argent bon marché des banques centrales. ” Cela ne va pas durer éternellement, précise-t-il. Par ailleurs, les frais de transaction liés à ce type d’actifs sont plus élevés que ceux en Bourse. ” Ce n’est pas tout à fait pareil mais il existe aussi quelques fabricants de cigares cotés en Bourse.

Ainsi par exemple, Scandinavian Tobacco Group a fait son entrée à la Bourse de Copenhague début 2016. Le groupe possède une usine chez nous, à Lummen (Limbourg), où sont produits 1 milliard de cigares et de cigarillos par an, mais aussi des sites de production au Honduras, au Nicaragua et en République dominicaine.

Une action d’un des plus grands fabricants de vitoles du monde coûtait lors de l’introduction en Bourse 100 couronnes danoises et en vaut aujourd’hui 109. Les actionnaires ont reçu 5 couronnes (avant impôts) en avril 2016 et 5,5 couronnes en 2017. L’entreprise promet de verser aux actionnaires 70 % du bénéfice net consolidé sous formes de dividendes ou un programme d’achat de ses propres actions.

D’autres concurrents importants comme Imperial Brands, British American Tobacco, Philip Morris et Altria utilisent le même argument de plantureux versements de bénéfice pour appâter les investisseurs. Il faut savoir que la croissance de ces entreprises n’est pas au beau fixe du fait des nombreuses campagnes anti-tabac et de la prise de conscience par le consommateur des risques pour la santé.

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