Le salaire, lié à l’ancienneté ou aux prestations ? Un équilibre difficile

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Bart Vereecke Rédacteur MoneyTalk et Trends

Faut-il rémunérer les travailleurs sur la base de leurs prestations ou de leur expérience ? Une étude de la Vlerick Business School et de la société de consultance en RH Hudson relance le débat.

C’est un fait : nous vivons et travaillons plus longtemps. Dans leur étude Future House of Rewards, les chercheurs de la Vlerick Business School et de la société de consultance en RH Hudson ont examiné la façon d’intégrer cette réalité dans le système de rémunération belge. À cet effet, ils ont analysé les données salariales des employés et remarqué que l’écart salarial entre les plus jeunes et les plus âgés est devenu bien trop important. Selon les chercheurs, ce constat entraîne non seulement la frustration des jeunes, mais il nuit aussi à la compétitivité des travailleurs âgés sur le marché du travail.

En Belgique, l’écart salarial entre les travailleurs jeunes et âgés est devenu bien trop important

En Belgique, l’ancienneté (les années de service d’un travailleur) reste un facteur important dans la rémunération des employés. “Deux raisons expliquent cela”, explique Xavier Baeten, professeur à la Vlerick Business School. “Tout d’abord, les employeurs ne veulent pas courir le risque de payer les jeunes collaborateurs au-delà de leur productivité. Étant donné qu’ils n’ont encore aucune garantie de productivité au moment de l’engagement, ils préfèrent jouer la carte de la sécurité et définir un salaire de départ plus bas, tout en promettant une augmentation progressive de celui-ci. Ensuite, un système dans lequel les années de service auprès du même employeur sont récompensées assure une certaine fidélité des collaborateurs à l’entreprise.”

L’augmentation systématique du salaire préserve dès lors les employeurs d’une série de risques, mais aussi les travailleurs, qui bénéficient de clarté et de certitude quant à leur futur salaire.

Selon les chercheurs de la Vlerick et d’Hudson, le raisonnement qui sous-tend le lien entre salaire et ancienneté reste pertinent. Toutefois, ils plaident pour une révision de l’approche dans la pratique et pour une meilleure harmonie entre rémunération et productivité, compte tenu du vieillissement de la population en particulier.

“L’idée de lier expérience et augmentation de salaire reste pertinente. C’est pourquoi nous ne prônons pas une suppression pure et simple du système, mais force est de constater que l’écart salarial entre les plus jeunes et les plus âgés est devenu trop important en Belgique. Ces derniers risquent de devenir trop chers, alors que nous en avons besoin plus longtemps. Par ailleurs, le monde des entreprises nous montre que cet écart engendre un sentiment de frustration chez les jeunes collaborateurs”, ajoute Xavier Baeten.

Le meilleur des deux mondes

Concrètement, les chercheurs de la Vlerick et d’Hudson proposent un système qui intègre tant l’ancienneté et l’expérience que les prestations. “Pendant les premières années de service, il nous semble opportun de combiner un salaire fixe qui augmente avec l’expérience du travailleur et une participation aux bénéfices en fonction des résultats de l’entreprise”, explique Xavier Baeten.

L’idée de lier expérience et augmentation de salaire reste pertinente. C’est pourquoi nous ne prônons pas une suppression pure et simple du système

“Au début, la progression des travailleurs est fulgurante à coups de gains de productivité, ce qui justifie le lien entre salaire et ancienneté. Toutefois, des études ont démontré que l’évolution de la productivité stagne au fil du temps. Cet intervalle dépend bien entendu du type de travail, mais lorsqu’un collaborateur est parfaitement compétent et que les gains de productivité sont infimes, la composante fixe doit également arrêter d’évoluer.”

“À ce moment-là, un système de bonus qui octroie une rémunération variable supplémentaire au travailleur en fonction de ses prestations doit être mis en place. Les rémunérations fixes et variables peuvent ensuite être assorties d’un budget flexible en vue de versements dans un plan de pension ou de formations par exemple”, ajoute Xavier Baeten.

D’après les chercheurs, une meilleure harmonie entre l’évolution salariale et la productivité permettra notamment de maintenir davantage de travailleurs âgés sur le marché du travail. Dans l’étude, cette thèse est soutenue par la comparaison avec la Suède, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. “Dans ces pays, la rémunération repose davantage sur les prestations ou les compétences que sur l’ancienneté. Le taux d’emploi des plus de 55 ans est par conséquent bien plus élevé qu’en Belgique”, confirme Xavier Baeten.

Un jugement hâtif

On pourrait spontanément valider le raisonnement qui explique le faible taux d’emploi des travailleurs âgés par la corrélation entre expérience et salaire. Mais il ne faut pas négliger les contre-arguments. Premièrement, la Flandre a instauré, depuis le 1er juillet 2016, une nouvelle réduction groupe cible qui permet aux employeurs qui engagent ou gardent des travailleurs âgés de plus de 55 ans de bénéficier de cotisations sociales réduites. Cette mesure permet de compenser les éventuelles charges salariales plus élevées en conséquence de l’ancienneté. Par ailleurs, l’ancienneté acquise n’est pas toujours transposable chez un nouvel employeur.

Il s’agit avant tout de maintenir plus longtemps ces travailleurs peu qualifiés au travail. À cet effet, il convient de mettre en place du travail faisable

Erwin De Deyn, le président du Syndicat des employés, techniciens et cadres (SETCa), estime qu’il est hâtif de tenir les barèmes pour (seuls) responsables du faible taux d’emploi des plus de 55 ans en Belgique. “Avec une occupation des plus de 55 ans de seulement 45,4 %, notre pays se situe en dessous de la moyenne européenne. Ce pourcentage s’explique par le fait qu’en Belgique, les travailleurs âgés peu qualifiés, tant ouvriers qu’employés, quittent relativement tôt le marché du travail, souvent en raison de la charge de travail physique ou psychologique.”

“Étant donné que leurs salaires, qui sont inférieurs à ceux des employés et des cadres (aux carrières plus longues) ne sont pas repris dans le calcul du salaire moyen, on obtient une image biaisée.” Selon Erwin De Deyn, il s’agit avant tout de maintenir plus longtemps ces travailleurs peu qualifiés au travail. “À cet effet, il convient de mettre en place du travail faisable et d’éviter de bricoler les barèmes.”

“On surestime l’impact de l’ancienneté sur le salaire”, poursuit le président du SETCa. “Tout d’abord, l’ancienneté est souvent limitée à une vingtaine d’années aujourd’hui. Au-delà, l’expérience n’est plus automatiquement valorisée par une augmentation salariale. Ensuite, les salaires dans la plupart des secteurs ou des entreprises sont nettement supérieurs aux barèmes minimaux et ils sont déjà liés aux prestations. Nous constatons en outre que les travailleurs âgés profitent justement de cette composante flexible, parce qu’ils enregistrent de meilleures prestations grâce à l’expertise et au savoir-faire qu’ils ont acquis.”

On surestime l’impact de l’ancienneté sur le salaire

Paradoxe

L’attitude des syndicats vis-à-vis de l’étude de la Vlerick et d’Hudson semble quelque peu paradoxale. D’une part, ils se sont tenus sur la défensive face à une proposition que l’on peut difficilement qualifier d’extrême. D’autre part, ils ont fortement relativisé l’importance de l’ancienneté dans les salaires et affirmé que la rémunération liée à la prestation profitait surtout aux travailleurs âgés.

Dans l’hypothèse où cette affirmation se révèle exacte, on est en droit de se demander qui sont les vrais perdants du nouveau système et pourquoi les syndicats s’érigent si ouvertement en défenseurs des barèmes actuels.

Avant de passer à une rémunération liée à la prestation, les critères doivent être définis de manière précise

“L’étude de la Vlerick et d’Hudson comporte bien entendu des éléments intéressants”, affirme Erwin De Deyn. “Nous pouvons comprendre la frustration des jeunes travailleurs face aux grandes différences salariales. Ce qui nous dérange en tant que syndicat, c’est que les organisations patronales présentent à nouveau l’étude de Vlerick et d’Hudson comme un appel à remplacer sur-le-champ tous les barèmes par une rémunération flexible.”

“Cette transition doit faire l’objet d’une concertation collective. La suppression pure et simple des barèmes affectera surtout les travailleurs des petites entreprises qui appliquent toujours le barème minimal et qui ne disposent pas du budget pour mener une politique RH pertinente.”

“Contrairement aux grandes entreprises qui bénéficient de départements spécialisés pour mettre en place une rémunération liée à la prestation d’un commun accord, les plus petites structures risquent de pratiquer une politique salariale sur la base de critères arbitraires. L’intérêt des barèmes existants est justement qu’ils garantissent, d’une certaine manière, une rémunération claire et transparente.”

“Nous sommes donc ouverts à la concertation sur les barèmes. Un agencement différent, par exemple avec un salaire de départ plus élevé qui stagne après un certain temps, est pour nous certainement envisageable. Avant de passer à une rémunération liée à la prestation, les critères doivent être définis de manière précise.”

Concertation

La crainte de l’arbitraire est clairement l’un des obstacles au passage à un système de rémunération flexible. Il n’est pas toujours simple de traduire les prestations dans une check-list. En outre, les résultats dépendent souvent de facteurs qui ne relèvent pas de la responsabilité des travailleurs individuels, ce qui est d’autant plus vrai dans un système où les collaborateurs sont récompensés collectivement sur la base de leurs prestations.

La crainte de l’arbitraire est l’un des obstacles au passage à un système de rémunération flexible

Xavier Baeten reconnaît qu’une rémunération collective liée à la prestation comporte plusieurs défis. En même temps, il prévient qu’un système mathématique dans lequel chaque prestation et la rémunération y afférente sont décrites en détail n’est pas réaliste.

D’après lui, la solution passe par la concertation entre les parties concernées. “La modernisation du système salarial belge doit aller de pair avec une politique RH adaptée et participative au sein des entreprises. La direction doit conclure des accords clairs avec les travailleurs. Ces accords peuvent être adaptés ou affinés au moyen de feed-back et d’entretiens d’évaluation réguliers. Au niveau sectoriel, il s’agira d’impliquer les syndicats dès le début de la concertation.”

“Je comprends que le système des barèmes d’ancienneté en rassure beaucoup, mais nous devons nous préparer au vieillissement de la population et à l’envol du numérique. Il faut éviter de s’accrocher à un système dans lequel le lien entre évolution salariale et gain de productivité s’estompe progressivement. Investir davantage dans les formations est un meilleur moyen d’assurer un travail et une rémunération aux travailleurs dans le futur. Mais nous ne voulons pas pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain. C’est pourquoi nous continuons de plaider pour une augmentation salariale liée à l’expérience, mais limitée dans le temps.”

Traduction : virginie·dupont·sprl

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