Les marchés ne semblent pas encore avoir touché le fond

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La Bourse est au plus mal depuis 2008. Les marchés ont connu leur pire année depuis dix ans. Et 2019 ne s’annonce pas sous de bons auspices.

A-t-on touché le fond ? Entre le début du mois d’octobre et aujourd’hui, les marchés boursiers ont connu leurs pires moments depuis dix ans. Aux Etats-Unis, le Dow Jones a cédé environ 13% au cours de ces trois derniers mois et le Nasdaq composite, qui regroupe les principales valeurs high-tech, 19%. En Europe, le tableau est similaire, si ce n’est que les indices, minés par le Brexit et une croissance moins tonique sur le vieux continent, ont commencé leur baisse au printemps. L’EuroStoxx50, le principal indice européen, a chuté de 20% sur un an.

En bref, jamais les marchés des actions mondiaux n’avaient enregistré une aussi mauvaise performance depuis l’effondrement de 2008.

Un rebond saisonnier

Au lendemain de Noel, les Bourses ont cependant tenté un rebond. Le Dow Jones a même repris 1.000 points en une séance, un record. Mais pour beaucoup, ce n’était qu’un feu de paille, alimenté par des éléments très saisonniers.

Georges Ugeux, le patron de la banque d’affaires Galileo et l’ancien vice-président de la Bourse de New York, explique ainsi sur son blog que cette brusque remontée a toutes les apparences de ces opérations de window dressing qui visent à artificiellement embellir les bilans avant la clôture de l’année. “Il est facile, note-t-il, de manipuler le Dow Jones : 30 actions seulement. Il suffisait de 30.000 titres pour influencer le marché à la hausse. Surtout dans un volume total qui fait moins de la moitié de la semaine dernière. Allez, un petit effort. On arrivera bien à lui arracher en fin de séance 1 000 ou 2 000 points pour terminer avec une petite perte pour l’année. On pourra même être légèrement au-dessus des 24.800 de la fin de l’an dernier.”

Mais cette éclaircie n’empêche toutefois pas de craindre la poursuite de la tempête. Car le sentiment qui, pendant dix ans, avait poussé les marchés à la hausse a pris fin, et la nervosité se marque par la très forte volatilité des cours ces derniers mois. “Les investisseurs, aux Etats-Unis, ont longtemps refusé de croire qu’il puisse y avoir un ralentissement de la croissance des Etats-Unis, explique Patrick Artus, l’économiste en chef de la banque d’affaires française Natixis. Pourtant, ce ralentissement était inévitable, avec le retour au plein emploi, avec le retournement à la baisse de l’immobilier résidentiel, dit-il. Les “histoires” que racontaient les investisseurs, les optimistes, aux Etats-Unis (accélération de la productivité, hausse de la participation) ne se sont pas réalisées. Comme il était prévisible, ces mêmes investisseurs optimistes sont maintenant devenus brutalement trop pessimistes, d’où le retournement des marchés.”

Les arbres ne montent pas jusqu’au ciel

Les pessimistes ne manquent pas d’arguments. Eurinvest Partners a dressé une liste de “14 raisons pour lesquelles les marchés d’actions doivent encore descendre”.

On peut les résumer en trois points. Le premier est que les arbres ne montent pas jusqu’au ciel. Il y a dix ans, on achetait les actions américaines 1 fois leurs bénéfices. Aujourd’hui, elles se négocient à un ratio de 19. Tous les baromètres indiquent que les actions, et spécialement les actions américaines sont devenues très, très chères. Parallèlement, l’endettement, qui avait également été une source de croissance ces dernières années, est arrivé à un point limite. “La dette des pays industrialisés, au lieu de diminuer, est passée de 145.000 milliards de dollars en 2007 à 174.000 milliards en 2017. Celle des pays émergents est passée de 21.000 milliards à 63.000 milliards”, souligne Eurinvest Partners.

Le deuxième argument, c’est que nous sommes arrivés en fin de cycle économique. Les prévisions de croissance aux Etats-Unis sont moins bonnes, et une des causes est, tout simplement, que l’économie est arrivée au plein emploi. Dans ces conditions, à moins d’importer massivement de la main d’oeuvre qualifiée ou à moins de trouver des gisements inexploités de productivité dans la technologie (mais on ne voit rien de ce côté), il reste peu d’espace pour alimenter une forte croissance dans les deux ou trois années qui viennent. Cela est d’autant plus vrai que les mesures de soutien qui avaient été prise par l’administration Trump, et surtout les facilités fiscales accordées aux entreprises désireuses de rapatrier leurs surplus de trésorerie aux Etats-Unis, ont déjà donné le gros de leurs résultats et que l’impact de la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine commence seulement à faire sentir ses effets.

Taux, dollars… un mauvais cocktail

Et puis, troisième point, sur les marchés financiers, d’autres freins à la croissance ont également été enclenchés, plus spécialement du côté des taux et du dollar. Les taux remontent, ce qui réduit les capacités d’emprunt des ménages et des entreprises. Et le dollar est plus cher vis-à-vis de nombreuses devises émergentes, ce qui secoue nombre de pays, comme le Brésil, l’Argentine, la Turquie….

Du côté des taux, en effet, la Réserve fédérale a remonté ses taux directeurs, ce qui a eu un impact sur les taux à courts termes. “En 5 ans le taux américain à 2 ans est passé de 0,6% à 2.8%.Nous avons donc eu une hausse de la bourse américaine avec en même temps une hausse de taux ce qui n’est pas tenable”, observe Eurinvest Partners. Les taux longs ont, eux, plus de mal à bouger car ils sont pris entre deux feux. D’un côté, si la croissance ralentit et si le marché des actions broie du noir, les investisseurs devraient se tourner vers les obligations. Mais de l’autre, le réveil de l’inflation menace, de son côté, les rendements obligataires réels (c’est-à-dire une fois que l’on a pris l’inflation en compte). C’est aussi vrai aux Etats-Unis qu’en Europe, et plus particulièrement encre chez nous, où l’inflation a atteint 2,9% en novembre (contre 1,9% en moyenne dans la zone euro), alors que le taux de l’obligation belge de référence avoisine les 0,7%. Autrement dit, si rien ne change, celui qui investit dans une obligation d’état sur dix ans voit son placement s’éroder chaque année de 2,2%….

Parallèlement, la cherté du dollar a fortement perturbé certains pays émergents, dont les entreprises avaient emprunté en billets verts lorsque celui-ci n’était pas cher. Or, la remontée des taux américain a eu un double impact : elle a renchérit le dollar, et elle a incité les investisseurs internationaux à quitter les pays émergents. Le résultat est que les entreprises émergentes voient le poids réel de leurs dettes en dollar augmenter fortement, et assistent en même temps au départ des investisseurs étrangers….

Le nouveau risque politique

Et puis, il faut ajouter à tous ces boulets économiques et financiers qui poussent les marchés vers le bas un dernier poids, et non des moindres : le risque politique, auquel on n’était plus habitué.

Les décisions brutales de Donald Trump en matière de politique internationale, son conflit commercial aigu avec la Chine, ses invectives contre la Réserve fédérales, les démissions en cascade au sein de son cabinet… laissent craindre un gouvernement chaotique aux Etats-Unis ces prochains mois.

Le chaos règne aussi au Royaume-Uni, où la classe politique semble incapable de gérer le Brexit qu’elle a pourtant provoqué. Et dans l’Union européenne, la montée des populismes rend de plus en plus ardues les prises de décisions communes.

Pour toutes ces raisons, donc, on peut craindre que la baisse des marchés se poursuive en 2019.

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